Des forêts millénaires d’Araucanie à l’île de Chiloé, le Chili dessine un terrain de jeu grandeur nature où petits et...
» Lire l'articleViolences “éducatives” “ordinaires”
Violences “éducatives” “ordinaires”
Du côté des enfants
L’intensité d’une violence contre les enfants est difficile à estimer dans ses conséquences : une “petite violence”, “ordinaire”, peut causer d’énormes torts. Le psychiatre britannique Donald Winnicott est, en l’occurrence, une autorité dont chaque éducateur peut vérifier empiriquement la valeur des affirmations en la matière. Une violence peut entraîner ce qu’il appelle une “déprivation”. Il s’agit d’une absence de liens sains entre l’enfant et les adultes qui l’entourent. Or, des liens “éducatifs” peuvent être remis en question par l’enfant s’ils débouchent sur de la violence de la part des adultes, car l’enfant va alors douter : « Est-ce moi qui ai failli ? Ou mon environnement, les adultes qui m’entourent ? »
L’enfant sait, comme intuitivement, que les adultes qui prennent soin de lui sont dans le vrai si les relations à l’intérieur de son petit monde sont fondées sur l’attention, l’écoute, l’échange et le soin. Il le “sait” car ce sont, tout simplement, les conditions biologiques et sociales nécessaires à Homo sapiens pour survivre, depuis l’aube des temps.
Lorsque l’enfant se rend compte que ce n’est pas lui mais son environnement qui est toxique, alors il se rebelle. Il comprend que ce qu’il vit n’est pas la vraie vie, la vie “suffisamment bonne” grâce à laquelle chaque enfant doit pouvoir grandir. Au mieux, cela aboutira à son émancipation par rupture réfléchie avec l’environnement toxique qui a été trop longtemps le sien, mais si c’est le pire qui est au rendez-vous, ce pourra être la délinquance, la drogue ou même le suicide…
Vu du côté des parents, des éducateurs
Quel que soit le niveau qu’elle atteint, individuelle ou collective, toute violence est en soi l’aveu d’une impuissance à parler, à agir en être vivant ayant de la considération pour les autres. Bien sûr, nous pouvons concevoir que la violence exercée contre un enfant n’est qu’un moment où l’on craque, et que nous regrettons.
Mais une fois la violence acceptée comme ordinaire, il est plus facile de faire passer l’idée générale et abstraite qu’elle pourrait être, qui plus est, éducative. Or, la violence n’est jamais éducative du simple fait qu’elle n’a qu’une seule conséquence certaine : elle crée du ressentiment chez celui qui la subit. Ou, si l’enfant l’accepte – s’il se convainc que c’est lui qui a failli et qu’il a donc “mérité” sa correction –, cette acceptation est porteuse de la perpétuation de cette violence, génération après génération.
“Cadrer” les enfants ?
Reste la véritable question fondamentale : pouvons-nous mettre du cadre sans violence ? Là se situe l’ultime (et seul ?) argument de celles et ceux qui acceptent la violence comme un pis-aller : la violence serait l’outil le plus efficace pour cadrer les jeunes.
Certes, réussir l’éducation d’un enfant passe par la création d’un “cadre”. Rien à voir ici avec “l’enfant-roi”, qui est précisément celui auquel aucune limite n’est fixée, et que ses parents rendent malheureux parce qu’il ne peut pas grandir dans un environnement qui n’a pas de sens, qui “infantilise” au lieu “d’adultiser”.
Précisons donc : le cadre est un environnement qui permet à l’individu qui y évolue de vivre, tout simplement, qui lui offre ce dont il a besoin (nourriture, soins, affection…) et qui lui fournit des éléments propres à se réaliser, à s’émanciper, tels que la culture ou certaines “valeurs” qui se tissent dans la famille, et qui peuvent être discutées entre parents et enfants. Des valeurs humaines, comme le lien avec les autres humains et le respect de la nature, et pas celles de la lutte de tous contre tous, du virilisme ou de la soumission.
Le cadre n’est pas d’abord une limite posée extérieurement. Des limites existent, et l’un des aspects de la tâche du pédagogue, du parent, est d’amener l’enfant à découvrir, surtout par lui-même – en l’y aidant, en l’accompagnant –, les limites objectives (le danger physique, par exemple) et aussi ses propres limites, subjectives. Pour cela, la violence ne sert à rien et elle est même contre-productive, puisqu’elle pose, de l’extérieur et de façon arbitraire, des limites aux désirs d’expansion, d’émancipation de l’enfant.