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Harcèlement : aider son enfant à muscler sa répartie
« Sale chouchou du prof ! » « Mauviette ! » « Singe à lunettes ! » Ces phrases assassines qui vous tordent le cœur et vous figent tout net, vous ne les avez plus entendues depuis belle lurette. Elles sont pourtant là, sournoises, tapies au détour d’un couloir, au sein même de votre foyer, dans le brouhaha de la classe ou encore griffonnées sur un bout de papier. Plus ou moins assumées.
Et, de notre temps, on faisait partie de l’élite capable d’y répondre avec panache ou on se faisait tout petit et on attendait que ça passe. Heureusement, aujourd’hui, des spécialistes se sont penchés sur la question. Et il en est ressorti que la répartie, si on ne l’a pas… eh bien on l’apprend.
C’est ce que font Emmanuelle Piquet et son équipe de thérapeutes dans les centres À 180 degrés/Chagrin scolaire, en se mettant aux côtés de leurs patients. À leurs côtés… et à leur hauteur. « Dans cette position, on va pouvoir observer avec l’enfant et devenir aussi expert que lui de son problème, explique la psychopraticienne. Car c’est bien lui le capitaine. »
C’est donc lui aussi qui donne la direction. Si telle est sa demande, on tentera donc de trouver ensemble une stratégie de résolution. Dans l’une de ces stratégies, modélisée par la thérapeute et baptisée la “flèche de résistance” par les patients, l’enfant va réfléchir avec l’adulte à des répliques qui mettront la position de l’autre à mal. « On cherche à faire tomber le harceleur de son piédestal. Attention, c’est sa posture qu’on rend inconfortable. Ce n’est pas lui qu’on veut ridiculiser. C’est ce qu’il fait », précise Emmanuelle Piquet.
La stratégie du carquois
Même s’il n’y a évidemment aucune recette magique, aucun mode d’emploi et que chaque stratégie se fera après observation de la situation, Emmanuelle Piquet énumère trois ingrédients de base pour élaborer une bonne flèche de résistance face à une situation de harcèlement.
Le premier, c’est de se nourrir de ce qui a été envoyé de façon agressive. Ceci signifie aussi que s’il n’y a pas d’attaque, il n’y a pas de riposte : « Une flèche qui ne répondrait pas à ce critère, ne serait pas une flèche de résistance. Ce serait de l’agressivité », souligne la spécialiste.
Le deuxième, c’est l’autodérision. Une étape particulièrement difficile, car l’enfant devra apprendre à rire d’une zone spécialement complexée. Mais elle est primordiale, car en agissant de la sorte, l’enfant harcelé ne laisse pas la place à l’autre de se moquer de lui-même.
Le troisième ingrédient, c’est l’entraînement. La clé pour une bonne répartie, c’est de ne pas être submergé émotionnellement. Même quand la situation est difficile, que l’enfant ressent de la tristesse, de la colère et qu’il souffre d’un réel sentiment d’impuissance, il doit s’être exercé tant de fois qu’il est capable de décocher sa flèche.
Et la méthode semble faire mouche. Car en quinze ans de pratique, Emmanuelle Piquet a comptabilisé plus de 80 % de réussite dans l’accompagnement. L’équipe a même observé ce phénomène inattendu : dans un cas sur deux, l’enfant n’a pas besoin de décocher la réplique préparée. Parce qu’il a retrouvé son pouvoir. Il se tient désormais bien droit et arrive à la récré avec l’intention d’en découdre, sans baisser le regard ni raser les murs. « Le courage se perçoit de façon posturale. Il y a quelque chose de très animal dans le phénomène du harcèlement. Quand la posture change, le harceleur le perçoit, et il ne va pas prendre le risque de perdre son aura en s’y frottant. »
« Ce n’est pas la stratégie de la flèche, en réalité, s’amuse Emmanuelle Piquet. C’est plutôt la stratégie du carquois. Parce que c’est lui qui redresse le dos. Parce qu’un enfant harcelé à qui on dit de changer sa posture, ça ne marche pas, car il a peur. C’est le carquois rempli de flèches qui change cette posture et donne ce courage. »
Malgré son succès, la méthode essuie des critiques. On l’accuse de ne pas ou pas assez punir l’agresseur, de demander des efforts une nouvelle fois à la victime, de créer des petits combattants belliqueux. En un mot : d’être violente. « C’est justement l’inverse de la violence, répond Emmanuelle Piquet. Les méthodes qui se concentrent sur le harceleur et le sanctionnent sont peut-être plus conventionnelles dans leurs modalités. Mais pas dans les résultats. Nous voyons de notre côté moins de conflits dans la cour de récréation après avoir formé un ou deux enseignants de l’établissement à nos pratiques. Je pense moi, que cette façon de faire crée de la paix, justement. »
Et à la maison ?
Dans le cas de difficultés relationnelles entre frères et sœurs, une variable change la donne : la présence du parent, qui, bien malgré lui, aggrave le problème dans sa tentative de protéger le plus petit ou celui qu’il perçoit comme étant le plus faible.
Ici non plus, pas de recette miracle, mais bien de l’observation pour comprendre en profondeur la situation. Et un tâtonnement expérimental fait d’essais-erreurs afin de trouver ce qui fonctionne. Emmanuelle Piquet rappelle cependant que le parent devra s’efforcer de ne pas prendre le rôle d’avocat ni du juge de l’application des peines. Il faudra plutôt tenter d’expliquer à l’enfant qu’il peut, s’il le souhaite, « faire son 180 ° », c’est-à-dire le contraire de ce qu’il a déjà essayé. Il s’est énervé, il est allé pleurer chez maman. Ça n’a pas marché. Le contraire, c’est de dire à son frère ou à sa sœur quelque chose comme : « Continue. Après, maman elle m’aime encore plus. »
L’enfant pourra bien sûr aller rechercher réconfort et écoute chez son parent par la suite. Et le parent accueillera son vécu. Mais cette façon de faire changera la donne, car l’enfant se sera positionné. Car à la maison ou à la récré, c’est bien tout l’enjeu pour lutter contre les maltraitances relationnelles : trouver sa juste place. Et l’incarner.
Muscle ta répartie en famille.
« T’es vraiment qu’une moule. »
« Ma grand-mère adore les frites. » (Pirouette)
« Tu cours comme une fille. »
« C’est vrai. Je mords comme une fille aussi. Tu veux voir ? » (Autodérision)
« T’es qu’un psychopathe. »
« Psychopathe et tueur en série, c’est des synonymes selon toi ? » (Question)
« T’es moche comme une betterave défraîchie. »
« Et toi t’es belle comme une aubergine juteuse. » (Compliment)
« Le rose, c’est pour les filles. »
« Et le bleu, c’est pour les schtroumpfs. » (Boomerang)
Retrouvez ces flèches et d’autres encore dans le livre Au secours, il y a un rapace dans la classe, écrit par Coralie Ramon, illustré par Quentin Ketelaers et édité par psychoeducation.be. L’album se base sur la théorie des flèches de résistance, modélisée par Emmanuelle Piquet, et des catégories de répartie utilisées dans le jeu Takattak.