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Éduquer à l’intimité, un enjeu de santé et d’égalité
Vulve, pénis, scrotum, clitoris : ces mots ne sont ni des noms d’oiseaux, ni du vocabulaire d’adulte. Ce sont des composantes de nos anatomies qui permettent de décrire nos corps avec précision. Et bien qu’ils ne figurent quasi jamais dans les livres pour enfants et qu’ils ne franchissent tout aussi peu le seuil de nos lèvres, ils n’en sont pas moins essentiels à utiliser avec petits et grands.
Car connaître son corps, comprendre son fonctionnement, apprendre à en nommer ses parties sont des enjeux de santé publique. Pour espérer construire des rapports humains plus égalitaires, plus justes, plus confiants. Et, de fait, moins violents.
Désert littéraire
Rares sont les enfants qui ne posent pas de questions. Elles sont l’essence même de l’apprentissage, du développement. L’âge du « pourquoi » en est la preuve et n’épargne pas les interrogations liées au corps, à la sexualité. Pour le tout-petit, l’enseignement de l’anatomie est d’ailleurs à l’ordre du jour : oreilles, pieds, nez, ventre… Pourtant, le nombre d’ouvrages écrivant noir sur blanc le mot “vulve”, est bien dérisoire.
« Je suis maman de deux petites filles, et ma grande a eu très tôt des questionnements sur son intimité, sur comment elle était faite, raconte Mathilde Baudy, professeure d’arts appliqués et co-autrice des Petits illustrés de l’intimité. J’ai cherché un livre qui pourrait m’aider, parce que ce n’est pas toujours facile comme sujet, et c’est mieux avec un support ! » Mais, entre désinformation criante et absence pure et simple d’illustrés jeunesse traitant véritablement du corps, la quête de Mathilde s’est avérée bien plus rude que prévu.
Sa vaine recherche la pousse alors à créer ce livre qui lui manque tant. Avec Tiphaine Dieumegard – sage-femme de profession et co-autrice des Petits Illustrés –, elle s’attelle à l’écriture de son premier ouvrage sur l’intime, inclusif et réaliste. « On y a cru, on a vu que beaucoup de parents étaient en manque d’informations », témoigne-t-elle. Une campagne de financement participatif plus tard, l’engouement autour du sujet se confirme : Le Petit Illustré de l’intimité, de la vulve, du vagin, de l’utérus, du clitoris, des règles, etc. naît ! Il est suivi, quelques mois plus tard, de son indispensable tome 2 (du pénis, des testicules, du scrotum, du prépuce, des érections, etc.).
De l’importance du dialogue
Si l’idée de parler du clitoris aux enfants peut surprendre, la méconnaissance des parties génitales et le tabou qui en émane devraient davantage alerter. Une étude, publiée dans l’International Urogynecology Journal en 2021, révèle une très mauvaise connaissance du public de l’anatomie génitale externe de la femme. Bon nombre d’entre elles n’ont d’ailleurs jamais observé leur vulve. « C’est important de se regarder », affirme Mathilde Baudy, qui a pris soin de fournir un petit miroir d’observation dans ses illustrés.
Pour tenter d’enrayer cette méconnaissance chronique du corps, le dialogue avec les enfants est l’une des clefs : « Le tabou naît du fait qu’on ne parle pas », explique Mathilde Baudy. Et qu’on ne représente pas, ou très peu, les parties génitales – du moins pas celles de tout le monde. Nombreux sont les enfants sachant dessiner un pénis (plus ou moins grossier), ou tout du moins le reconnaître lorsque ce dernier est griffonné. Il n’en est pas de même pour les vulves. Dans le livre de Mathilde Baudy et Tiphaine Dieumegard, des vulves aux allures diverses et variées flamboient sur les pages de garde, pour combler le vide des représentations. « On sait que ça peut interloquer », concèdent-elles. Mais observer les différences, voir son sexe couché sur papier font partie du chemin de l’acceptation. Comprendre qu’il n’existe pas de norme permet de mieux aimer son corps et de moins stigmatiser celui des autres.
En encourageant la connaissance de soi, les parents plantent des graines essentielles : celles de l’amour-propre et de la tolérance. Et offrent des outils pour se prémunir de la désinformation : de la rumeur de cour d’école, aux réseaux sociaux un peu plus tard, en passant par l’exposition à la pornographie (à 12 ans, près d’un enfant sur trois y a déjà été exposé, selon le ministère des Solidarités et de la Santé). « Je pense qu’il est primordial de leur fournir de vraies informations sur le corps, son fonctionnement, et les compétences sociales à avoir pour mieux se comprendre soi-même et les autres », confirme Margot Fried-Filliozat, sexothérapeute, conférencière et autrice.
Aux racines du consentement
Détenir de “vraies informations” sur le corps est une arme de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Pour les autrices des Petits Illustrés, dessiner une anatomie réaliste, expliquer et nommer le corps, donner des clefs pour le comprendre sont un enjeu féministe. « Ce qui n’est pas nommé, n’est pas réfléchi. Et ce qui est impensé, ne peut pas être protégé, explique Mathilde Baudy. On a besoin de savoir que c’est son intimité, de savoir que c’est à soi. Et c’est très important de le savoir tôt. »
À partir de 3 ans, en effet, l’enfant est en capacité de comprendre des notions de consentement. « Le consentement, ça s’enseigne dès tout-petit : “T’as pas envie de faire la bise à Tonton ? On peut faire autrement” », répond Margot Fried-Filliozat. Car avoir le droit de dire « non », c’est aussi apprendre à respecter le « non » des autres.
Dédramatiser le refus est effectivement un levier en matière d’éducation anti-sexiste : « Expliquer à un enfant qu’il ne faut pas embrasser un petit copain s’il n’a pas envie, c’est déjà lui expliquer que plus tard, on n’a pas un rapport sexuel si l’autre n’a pas envie. Et finalement, on n’a pas besoin de parler de sexe », soulignait très justement Sandra Franrenet, journaliste et autrice d’Osez parler de sexe à vos enfants, au micro de France Inter (« Faut-il parler de sexe avec ses enfants ? », 17 août 2018).
Si l’idée de briser les tabous autour du corps, de l’intimité, de la puberté et de la sexualité est séduisante, dans les faits, l’exercice reste périlleux, même parfois redouté – questions gênantes, saugrenues (ou les deux) des enfants à l’appui.
Évacuer la gêne
« C’est quoi une fellation ? » « Comment on fait les bébés ? » Des questions, somme toute classiques, qui surprennent toujours un peu (surtout en enfilant les chaussures avant d’aller à l’école). « Que ce soit pour les petits ou les plus grands, ils ont besoin qu’on les aide à réfléchir, pas qu’on leur réponde forcément », désamorce Margot Fried-Filliozat. Et d’ajouter : « Face aux questions du corps, de la sexualité, les adultes paniquent : la première chose, c’est de pouvoir les aider à démêler leurs pensées, de les aider à évacuer. »
Concrètement, face à une interrogation qui déstabilise, on peut par exemple répondre : « Qu’est-ce que toi, tu te dis ? Qu’est-ce qui te fait penser à ça ? » « Il y a un moment où on apporte des réponses, mais d’abord on les fait parler ! », souligne la sexothérapeute. Dans le quotidien, on peut également se discipliner à employer les bons mots : « Dès tout-petit, les parents vont nettoyer les enfants en disant “Je vais te nettoyer en bas”, pour ne pas citer les parties génitales. On peut nommer les choses comme elles sont : “Je vais nettoyer ta vulve, tes fesses, ton anus.” La gêne se crée parce qu’on n’ose pas en parler », remarque la spécialiste.
Cet embarras est, malgré tout, souvent bien installé chez les adultes, concède Margot Fried-Filliozat. Elle note cependant une envie de la part des parents de ne pas reproduire les climats tabous autour de la sexualité possiblement vécus lors de leur enfance. « Les enfants apprennent beaucoup plus par imitation que par ce qu’on va leur dire », ajoute-t-elle. Ainsi, une ambiance propice au dialogue et des parents à l’aise avec leur propre corps sont là de bonnes bases pour démanteler les diverses gênes.
Les ressources de l’intimité
Tout miser sur l’échange parent-enfant serait toutefois naïf. À l’adolescence, les conversations intimes, sincères et détaillées, n’ont pas forcément lieu dans la sphère familiale. Les livres possèdent ainsi une place de choix pour évoquer la sexualité, les poils, les cycles menstruels, le genre, les relations aux autres, les sentiments. « Il y a un truc assez magique dans les livres : y accéder ne demande aucune technologie. Ils sont toujours à disposition. (…) Et, même si on n’est pas à l’aise pour parler du sujet dont traite le livre, on peut, en tant que parent, le laisser traîner quelque part dans la maison », propose Mathilde Baudy.
Orienter ses enfants vers une personne de confiance pour dialoguer sur ces sujets est également une possibilité. Tout comme se référer au personnel de santé : le pédiatre, par exemple. Et pour plus tard, à l’adolescence, orienter vers le généraliste, le gynécologue, mais aussi la sage-femme (qui peut prescrire et administrer des contraceptifs aux patientes mineures). Sans oublier les associations, telles que le planning familial – en gardant toujours en tête que les questions liées à la sexualité et au corps arrivent généralement bien avant que les hormones ne dansent le rock acrobatique.
Et, bien sûr, comme le conseille à juste titre Margot Fried-Filliozat, ne pas hésiter à « secouer un peu l’école pour avoir des interventions sur le sujet ».